Un hochement de tête et l’air de s’intéresser une seconde de plus à l’étiquette d’une canette; Bo confirme que Laurence imagine bien et n’ajoute rien. Il le suit vers les caisses et doit prendre des détours mentalement pour éviter de se prendre les pieds dans l’absurde qu’il peine à ne pas percevoir dans la situation. Aussi prend-t-il soin de se rappeler qu’il s’est trouvé une raison d’être là, traînant dans l’ombre de Laurence comme une… espèce de… pseudo… faux ami, comme si quelque chose s’était finalement posé entre eux. Informe et pas particulièrement charmant mais, tranquille. Au moins momentanément.
Alors c’est de famille! Se moque-t-il, ne résistant pas à qualifier, même indirectement, Laurence de « stupide ». Bien que, franchement, il juge plus logique le choix de la pharmacie que de la supérette. Par contre, ton frère, il sait s’habiller! Lâche-t-il dans une grimace de gamin, serrant les dents et écarquillant exagérément les yeux.
Bo suit Laurence à l’extérieur et acquiesce petitement à son commentaire sur la caissière, n’osant qu’à demi faire front commun.
D’ailleurs, la suite lui confirme que l’apparente relative entente entre eux ne tient sur rien de bien solide. Bo dresse la tête et fronce les sourcils. Il ne s’attendait pas à recevoir ce genre de demande, pardon, ordre de Laurence. Il met quelques secondes à comprendre mais, une fois l’offense retombée, il coule un regard ennuyé vers le ciel.
Je… Il se racle la gorge, avale sa salive. Je vais faire ce que je peux. Parvient-il à articuler malgré sa mâchoire tendue.
Ne pas oublier que Laurence ramène tout à lui. Déjà que son vernis de macho raciste doit en prendre un coup… Traîner avec un danseur anishinabeg… Gay en plus! Ouf, c’est clair que sa réputation ne s’en remettrait pas.
Respire, Bo.
Il baisse les yeux. Plus facile de respirer sans regarder Laurence dans les yeux. Plus facile de le faire calmement.
Jusqu’à ce que.
Ah.
Cette offre, qui ne dit rien et tout à la fois.
Bo relève la tête en riant.
Tu vas me faire faire tes courses? Puis te faire à manger pendant que t’es à tes cours? Tu me veux habillé ou pas sous mon tablier? Bo fait un pas vers lui, prend un air innocent et parle bas. Si tu paies, tout se peut, Laurence.
Il tourne la tête en direction de la pharmacie.
Non mais… Il regarde Laurence dans les yeux. Tu dois filer un parfait bonheur au sein de ta petite famille, dans ta petite vie bourgeoise d’étudiant, avec tes petits amis virtuels et tes petits bonshommes… Je sais pas trop ce que je peux faire pour toi, franchement. Tout en continuant, Bo jette un œil à sa main, soulève un peu le mouchoir et constate que la marée de sang s’apaise légèrement. De toute façon, c’est clair que t’es plutôt ennuyant comme gars. Si ce n’est que pour renouveler ton stock d’insultes – et encore – t’as pas l’air du type le plus imaginatif en ville… Bo hausse une épaule et glisse ses doigts indemnes dans ses cheveux d’un geste désinvolte. Je m’égare. En fait ce que je veux dire c’est que… Clairement, un type comme toi ne doit avoir besoin de rien. À moins que t’aies pas de petite amie!? Conclut-il dans une ingénuité presque parfaitement feinte.
Mascarade
Oui.
Bo avait compris. Laurence ramenait tout à * lui *, comme un enfant qui tirait la couverture de toutes ses forces pour ne pas la partager avec les autres. Il avait eu le beau rôle, après tout. Le petit dernier, asthmatique et mal dans sa peau. Si son père niait qu'il existait (en chair et en os), ce n'était pas le cas de ses frères. Depuis le départ de sa génitrice, Éric le couvait. Malgré les sarcasmes, malgré le rabaissement, il était toujours là quand il en avait besoin. Même si c'était pour lui éviter un trajet en métro de vingt minutes.
Alors Laurence laissa Bo exprimer toute sa frustration, à lui détailler une vie qu'il s'imaginait. Les courses ? Voyons. Il se faisait livrer. Il sous-estimait la capacité de Laurence à être un petit merdeux capricieux. Oui. Il savait que l'argent rendait tout possible. À son niveau, les lois n'étaient qu'une suggestion.
* Nu * sous le tablier.
Laurence se contenta d'ouvrir sa canette, et de goûter à une longue gorgée de bière. La dernière remarque lui tira un haussement de sourcils. Laurence s'essuya la bouche avec la manche de sa veste, avant de se laisser tomber sur un banc. Les coudes sur les genoux, il coula un regard sur Bo.
« Ouais. J'ai pas de meufs, et alors ? Grinça-t-il. J'attends la bonne, c'est tout. »
Bo allait se moquer de lui. Mais c'était * vrai *, une fille qui pourrait le sauver de son malaise. Une fille qu'il trouverait attirante, et qui ne serait pas chiante. Une fille qui ne prendrait pas pour une féministe, et qui ne mettrait pas ses pronoms dans sa biographie Twitter. L'apparence ? Il s'en fichait.
« Après je sais pas ce que je ferais d'une fille, avoua-t-il avec un peu de sincérité. Faut s'en occuper de ces machins-là. L'inviter au resto, être aux petits soins, pff. Je laisse ça à mon frère, il sait s'occuper des filles, lui. En même temps, il est sacrément beau. Et tu l'as dit, il s'habille bien. Tu veux pas tenter ta chance ? Te faire entretenir en étant la maîtresse cachée d'un beau mec riche ? »
Mais ne lui dit pas que tu es gay.
Parce que Laurence n'avait pas les épaules assez solides pour supporter les remarques, les questions. Qu'il ne voulait pas se retrouver entre eux deux. Entendre Éric garder son sourire, et se montrer * inclusif * en surfant sur la mode. On accepte tout le monde, même si notre père a une étiquette conservatrice.
Parce que si l'homophobie de Laurence était évidente, à perler depuis tous les pores de sa peau. Celle d'Éric était plus discrète, en sous-marin, elle se déplaçait dans les discussions. Peut-être qu'au fond, lui, il avait conscience que c'était mal et qu'il s'efforçait de changer.
Comme si les fils Wilkinson étaient pouvaient évoluer.
« Mais peut-être que ça vaudrait le coup, de t'avoir. Laurence marqua une pause, et il ajouta : à mon service. Tu seras obligé de me supporter tout le temps. On rêve pas de mieux, non ? »
KoalaVolant
Chez Bo, chaque dollar pèse lourd dans la poche. Même en essayant, il ne parvient pas à se figurer ce que cela fait vraiment d’avoir les moyens d’à peu près tout et n’importe quoi, à tout le moins les moyens suffisants pour ne pas sentir l’étau de la culpabilité lui serrer la gorge au moindre caprice accordé.
Bo ne peut pas comprendre, il le sait, et sa lucidité lui coûte. C’est à coup de petites et grandes frustrations qu’il la paie.
Mais pas aujourd’hui. Il s’en étonne un peu sans s’y attarder, délesté d’un poids qu’il anticipait peut-être inconsciemment.
Il suit des yeux le mouvement de Laurence qui élève son bras et l’observe distraitement s’essuyer la bouche, tandis que le sourire moqueur aux coins de ses lèvres s’adoucit jusqu’à n’être plus qu’inoffensif, ou innocent, c’est selon.
Fatigué de se moquer, ou fatigué tout court de constamment se débattre auprès de Laurence, Bo se contente d’hausser une épaule et de baisser les yeux sur ses pieds dont l’un, dans sa basket au blanc cassé, tapote le trottoir de son extrémité. Il soupire et se mordille la lèvre avant de répondre.
Ouais ben… Il se râcle la gorge. C’est peut-être pas une mauvaise idée. Redressant la tête, Bo regarde Laurence et se laisse entraîner sans y penser, non sans s’emmêler la langue. J’en ai plus… Pas non plus de… Enfin, pas de meuf mais, tu vois.
Ouf.
Il détourne le regard. Loin de lui l’idée et surtout l’envie de s’étaler sur ses pathétiques amours. Laurence n’en a peut-être pas conscience, mais son manque de fiel fait trébucher Bo.
Heureusement, il recouvre un certain équilibre devant l’aveu.
Ah non? Lâche-t-il sans réfléchir. Mais Laurence précise et partage sa vision pour le moins réductrice d’une relation. Avec une fille.
La mention de son frère fait légèrement hausser les sourcils à Bo. Il répond tout de même à la légère, en plaisantant.
Je doute que ton frère me trouve très convaincant en maîtresse.
D’un autre côté, se projeter dans le rôle de l’amant n’est pas pour lui déplaire. Profiter des plaisirs, du luxe, tout en jouissant de la tranquillité de l’ombre en n’existant que dans les coulisses de la vie de l’autre lui semble être un plan enviable.
Laurence lit dans ses pensées.
Un temps, Bo le soupçonne sérieusement d’en être capable. Bouche entrouverte, il doit cligner des paupières quelques fois pour chasser la supposition. Il doit prendre le temps de s’humecter les lèvres et de se recomposer un air décontracté avant de répondre.
On rêve forcément de mieux! Mais à ta place je me méfierais, ce serait gênant d’y prendre goût… À m’avoir.
À son service ou pas. Il laisse planer et se rapproche du pick-up en soulevant à nouveau le mouchoir sur ses doigts. Il s’apprête à statuer sur ses chances de survie quand la vibration de son smartphone fait dévier le cours de ses pensées. D’une main, Bo repêche l’appareil d’une poche de son blouson. Un coup d’œil sur l’écran suffit à lui tirer une expression de dégoût.
Je confirme. Si tu crois que « le bon »… Euh, « la bonne », existe, il vaut mieux l’attendre. Les ex c’est lourd.
Le smartphone retourne d’où il est venu et Bo rejoint Laurence sur son banc.
Tu permets?
La question n’est que formalité. Sans attendre la réponse, Bo glisse ses doigts entre ceux de Laurence, autour de la canette de bière, et l’emprunte le temps d’une gorgée. Le goût le fait grimacer.
Mascarade
Bah tiens.
Maintenant Bo faisait le timide ? Laurence fronça les sourcils. Il le détailla du coin de l'oeil, sans trop savoir quoi en penser. D'habitude, il croyait que les gays et les autres machins étaient fiers de s'afficher. De baisers échangés sur les réseaux sociaux. Des drapeaux arc-en-ciel étendus au-dessus des têtes, des remarques sur les hétéros et les cistrucs. Alors d'un coup, Bo faisait le mort ? Laurence se demanda pourquoi, mais la question resta collée contre le font de sa langue.
Après tout, c'était bien lui qui avait dit de ne pas l'annoncer. Ni à son frère ni aux autres.
Dans ses pensées, Laurence était sur le point de se rallumer une cigarette. Par ennui, peut-être. Ou bien pour meubler la conversation. Parce qu'il ne sait pas * trop * quoi dire, les silences le mettaient mal à l'aise. Quand Bo remua près de lui, Wilkinson leva un oeil paresseux sur sa figure. Pas besoin de demander, puisqu'il a l'air de se permettre tout seul. Comme un grand.
Le contact le surprend. Il resta comme un idiot, à l'observer boire. Le contact des lèvres contre la cannette, puis Laurence grogna. Il se redressa vite, puis il voulut reprendre son dû. Et de nouveau leurs doigts se rencontrèrent, et lui en se laissant tomber, il en sursauta. Ce n'était pas tant de voir Bo de si près, ou de se voir volé de sa bière. Mais le contact de ses doigts contre les siens lui arracha un sursaut. Laurence se claqua le dos contre le banc, il lâcha aussitôt la cannette, qui encore pleine, s'écrasa contre l'intérieur de sa cuisse.
« Ah putain mais bordel de merde ! »
Grinça-t-il en la rattrapant pourtant au passage. L'alcool transperça son pantalon, un frisson lui traversa la nuque. Au moins, il l'avait rattrapé à temps et tout le contenu ne s'était pas renversé sur lui. Il poussa un soupir, agacé, fatigué, désabusé. Avant de raccrocher son regard sur Bo, qu'il rendait clairement responsable sans rien dire.
Même si c'était lui qui avait repris sa cannette. Même si c'était lui qui l'avait lâché. Même si c'était lui qui l'avait fixé sans rien dire.
Son pantalon moite, froid, collant, Laurence se mordit fort la lèvre inférieure. Il resta hébété, un crétin finit, avant de fouiller dans ses poches pour retrouver un mouchoir. Il peina à sortir un paquet, puis à l'ouvrir pour reprendre un mouchoir. Enfin, il commença à s'éponger, avant que le vent ne refasse tomber son mouchoir en papier.
Laurence grogna encore. Frustré, désabusé, agacé, avant de boire une autre gorgée de bière. Et rebelote, stressé, les yeux se levant et se baissant, à la fois sur Bo, mais aussi sur son pantalon. Il serra les dents, puis il eut un autre soupir.
Il abandonna.
Il était comme ça, Laurence. Dès qu'une difficulté se présentait, il s'arrêtait.
KoalaVolant
Innocent, Bo jette un regard autour d’eux. Ben quoi? Il ne pense pas au contact de leurs doigts. C’est là mais ce n’est rien, ou si peu, du moins pour lui. De toute façon, l’accident de la cannette le ramène à eux. Précisément, à la cuisse de Laurence, vers laquelle il dirige son regard surpris.
Mais… Devant ce genre de maladresse, le premier réflexe de Bo est d’être pris d’une envie de rire. Ainsi sa voix, en quelques éclats bon enfant, se mêle-t-elle aux exclamations d’un Laurence frustré.
Bo porte sa main devant ses lèvres, voilant partiellement son sourire sous ses yeux rieurs. Laurence est un feu que la moindre gouttelette d’huile semble suffire à faire s’emporter. Aussi bien tenter de ne pas l’alimenter.
Devant le manque de jugeotte de Laurence, l’amusement de Bo se teinte de perplexité.
Euhm… Ça va?
S’en remettra-t-il?
Il finit par sortir de son immobilisme et éponger son pantalon, sous le regard quasi suspicieux de Bo.
Est-ce que Laurence est cassé?
Il doit pincer ses lèvres pour ne pas rire de plus bel. D’autant plus que la petite opération sauvetage du pantalon de Laurence connait rapidement une ratée. Cette fois, Bo pouffe de rire en voyant le mouchoir s’échapper.
C’est con, en vrai.
Il ignore pourquoi ça l’amuse autant. Un ensemble de facteurs plus ou moins convaincants.
Malgré tout, il en vient à se lever et récupère le mouchoir qui s’est échoué à deux pas du banc avant qu’un nouveau coup de vent l’emporte.
Revenant à Laurence, Bo se plante devant, ce qui lui permet de le regarder de haut et de vivre par la même occasion une sorte de renversement de situation. Laurence qui fait le fier, avec ses menaces et sa fanfaronnade, ne ressemble plus à rien. L’instinct pousse Bo à s’accroupir devant lui. Exactement comme il le faisait le matin-même devant sa petite sœur en pleurs qui venait de renverser son jus de raisin sur sa poupée.
La comparaison s’arrêterait là.
C’est d’un geste pas particulièrement doux qu’il plaque le mouchoir rapatrié sur la cuisse de Laurence.
Tiens!
Et retire sa main en se relevant.
Relaxe, Laurence. Soupire-t-il trop gentiment en glissant ses mains dans les poches de sa veste. Sérieux… Reprend-t-il sans le regarder, les yeux distraits par les alentours mais ne s’attardant à rien en particulier. Si c’est pas d’une crise d’asthme, c’est d’une crise cardiaque que tu finiras par crever. Il revient à Laurence, la bouche tirée dans un demi-sourire, railleur.
Genre demain.
Mascarade
Non. Mais. Il se foutait vraiment de sa gueule ?
Laurence retint un mouvement de recul, et à la place, il manifesta son mécontentement par une espèce de grognement. Il chassa Bo d'un geste de la main, avant de lui arracher le mouchoir sans même un merci. Il s'essuya grossièrement, entre l'agacement et l'épuisement. Il avait envie d'aller se rouler en boule sous la couette, vider sa bouteille de Whiskey japonais, et de jouer avec ses « petits bonhommes » comme l'autre le disait si bien.
Puis il roula le mouchoir en boule, avant de le fourrer dans sa poche. Et face aux remarques de Bo, le jeune homme se contenta de hausser les épaules. Il lui balança un « si tu le dis », certain que ce ne serait pas de ça dont il allait crever.
Les lames dans les poches.
Les lèvres de Bo se pressant sur * sa * cannette de bière.
Et son frère qu'il voyait arriver enfin, au loin. Laurence soupira bruyamment, alors qu'Éric trottinait en leur direction. Un sac de pharmacie dans la main, il ralentit quand il arriva à leur hauteur. S'il remarqua la bière que Laurence buvait, puis la tache sur le pantalon, il se contenta d'un sourire triste. Puis Éric retrouva toute sa lumière.
« Désolé de vous avoir fait attendre.
— Tu déconnes ? On a eu le temps de passer à l'épicerie. »
Éric répliqua d'un petit rire contrit, avant de déposer le sac sur le banc et de faire signe à Laurence de s'écarter. Celui-ci grommela, puis il se cala tout au bout. Il alternait entre une nouvelle cigarette, et des gorgées de bière, tout en fixant Bo et son frère.
« Tu veux que je m'en charge ? J'ai l'habitude, lâcha Éric à Bo avec un sourire doux. Après tout, ça fait plus de vingt ans que je m'occupe de lui.
—T'es pas ma mère, cracha Laurence.
— Ahaha oui, fit l'aîné en sortant les gazes et du désinfectant du sac. Tu sais qu'il est maladroit ? On ne dirait pas sous air de Drago Malefoy, continua-t-il tout guilleret. Une fois, il s'est ouvert la main en se cognant malencontreusement dans une vitre. On ne sait toujours pas comment il a fait pour la casser.
—Je l'ai déjà dit cent fois, je suis tombé, j'étais en roller dans la maison. »
Non. C'était faux. Ce n'était pas une vitre, c'était un miroir. Et Laurence n'était pas tombé, il avait frappé de toutes ses forces. Il en conservait des cicatrices, sur sa peau de porcelaine, des striures, des fissures sur la perfection de sa blancheur.
Et ce n'était que la surface visible.
Éric ne rajouta rien de plus, son sourire devint plus mélancolique. Il ne disait jamais vraiment ce qu'il pensait, c'était difficile de le cerner. Pourtant, il tendit la main vers Bo en attendant que celui-ci veuille bien la lui donner.
Il ne posa pas de questions. Il ne posait jamais de questions.
KoalaVolant
Laurence est fatigué.
Sûrement, oui
Sûrement fatigué.
Ou alors c’est Bo qui n’y voit plus clair et qu’un grognement ou une main qui le chasse ne suffisent plus à menacer, convaincre, satisfaire? Mais de quoi?
C’est n’importe quoi. Bo déraille.
Complètement.
Après tout, se taper dessus, manquer se faire frapper, sauver, être sauvé, manquer d’air, embrasser, se couper… C’est-à-dire, ce tourbillon dans lequel Bo n’ose pas se replonger plus d’un coup d’œil à la fois et qu’il peine à remettre en ordre, qu’il n’essaie pas tellement de remettre en ordre, à vrai dire… Pèse, néanmoins, toujours.
Fatigué, bref. Laurence est fatigué, se répète-t-il, se convainc-t-il en sourcillant devant l’abattement qui semble avoir pris le petit bonhomme.
C’est peut-être Éric qui les sauvera, au final.
Ah oui, c’est certainement lui qui les sauvera tous, songe Bo en le voyant venir vers eux, jogger dans son halo de lumière, un peu trop beau pour être vrai.
Devant cette vision, quelque chose trébuche en lui.
Bo se mord la lèvre. Il ne voulait pas aller là.
Là : fantasmer sur Éric.
Il incline la tête vers le bas, la redresse en enfilant un large sourire se voulant sûr, mais au fond, il sait qu’il est trop tard pour y échapper.
Y’a pas de souci. Répond-il à l’adresse d’Éric en ignorant Laurence.
Sa voix. Son sourire. Quand bien même il songerait à le faire, Bo ne pourrait pas refuser l’aide d’Éric. L’assurance et la douceur qu’il dégage tandis qu’il s’affaire tout en taquinant son cadet sont comme les mailles d’un filet qu’il tend sans s’en rendre compte et vers lequel Bo marche directement.
N’entendant que vaguement les propos de Laurence, Bo écoute Éric lui raconter la mésaventure.
Ouais.
C’est clair.
Ce type pourrait lui faire ce qu’il veut.
N’importe quoi.
Tout.
Tout lui faire.
« Oui »
Il n’aurait rien d’autre à dire.
Rien.
Ce type.
Non.
Éric.
Éric est ce lever du soleil qu’il n’attendait plus après la nuit dans laquelle son ex l’a jeté et qui n’en
Il exagère.
Bo fait un effort surhumain pour paraître normal. La comparaison avec Drago Malefoy est juste et l’amuse. Son cœur bat trop fort et déglutir requiert un effort conscient, mais Bo s’accroche désespérément à Drago Malefoy pour s’improviser un fin sourire. Doucement, il secoue la tête, l’air faussement découragé par la maladresse du petit Laurence.
Tsss… Son répertoire est tellement, mais tellement maigre, soudain.
Devant la main qu’Éric en vient à lui tendre, Bo n’hésite pas longtemps et pose la sienne dessus.
Expirer.
Éric qui lui tend la main; c’est presque trop littéral, trop évident. Ce type tombe des nues. Le vrai sauveur, ce n’est pas Laurence, c’est Éric.
Déglutir.
Tandis qu’il est planté devant le grand frère, Bo fait alterner son regard entre sa main et le visage devant lui. Beau visage qu’il ne s’autorise à détailler que par coups d’œil, soucieux de ne pas soulever quelque soupçon.
Merci. Parvient-il à articuler. C’était qu’un bête accident, t’étais pas obligé de… Déglutir. Enfin, c’est gentil.
Laurence a de la chance d’avoir un grand frère comme toi. Êtes-vous proches? T’es magnifique. Tu permets que je te sente la nuque? Que je te goûte la langue?
Pourquoi je ne peux pas te dire que je suis gai?
Je suis gai.
Expirer.
Bo jette un œil sur Laurence et bien qu’il aurait préféré ne pas y penser, il se demande malgré lui comment il peut avoir l’air aussi misérable et avoir un frère qui flirte autant avec la perfection. La réponse et la question lui donnent l’étrange impression d’être entremêlées, mais à ça non plus, il préfère ne pas penser.
Mascarade
Laurence n'était pas con.
C'était dans l'air, ça se traduisait au moindre battement de cils de Bo. Il papillonnait comme une chienne en chaleur, et soudain, le fait que son grand-frère soit aux petits soins pour lui l'enragea. Il rangea les mains dans ses poches en poussant un soupir. Il coula un regard vers eux, alors que ses doigts jouaient discrètement avec les lames de rasoir. Pendant ce temps, Éric pansait les blessures de Bo. Et pendant ce temps, Bo semblait tomber amoureux d'Éric. Il se vit donner un coup de pied dans leurs tibias. Et ça le démangeait. Derrière la poitrine, et ça grattaient sans qu'il ne puisse vraiment l'expliquer. Il ne savait pas s'il était jaloux que pour une fois son frère s'occupe de quelqu'un, ou s'il détestait qu'il ait autant l'admiration de Bo.
Et puis s'il * les * frappait, quelles excuses aurait-il ? Il ne pouvait pas invoquer sa maladresse. Ni une mauvaise humeur. Ça serait trop * douteux *.
Laurence soupira, avant de se lever et de fumer. La clope lui occupait les mains, et la bière permettait d'enfouir sa frustration. Pendant qu'Éric discutait (il posait discrètement des questions : oh tu es donc un ami de mon frère, comment vous vous êtes connus et dis donc, tu me parais bien jeune), Laurence faisait les cent pas. Il tourna sur lui-même, il cracha la fumée, il reprit une gorgée de bière.
« Bon. C'est bon ? »
Éric leva sur lui un oeil paresseux, il sourit, et il s'excusa auprès de Bo. Il demanda à Laurence de patient encore un petit peu, en lui promettant qu'il allait se faire pardonner. Cela signifiait qu'il allait lui commander à manger, en l'occurrence, Laurence cuisinait très peu. Ce n'était pas qu'il n'était pas doué, au contraire. Mais il ne savait pas prendre soin de lui.
Laurence grogna, avant de pousser un profond soupir.
Il donna un coup de pied dans un carton de jus de fruits, qui traînait là. Il l'envoya sous les roues d'une voiture, alors qu'il grimaçait. Le chauffeur ne sembla pas le voir, et lui, il se retourna vers le duo. Éric lui fit signe, il se rapprocha. Assit à côté de Bo, à rayonner comme un soleil au fond d'une grotte, il posa les mains sur ses genoux.
« J'ai fini ! S'exclama-t-il, tout guilleret. Rien de très grave, mais ce genre de blessure, c'est un peu traître. Haha. Il sourit à Bo. Je vais le ramener, merci pour ta patience. »
Il présenta sa main au jeune homme, alors que Laurence se rapprochait d'eux.
« C'est bon ? On peut se casser ? »
Laurence jeta sa clope au sol, avant de l'écraser avec son pied. Il termina bière d'une seule traite.
Les deux. Quels deux crétins ! Des imbéciles heureux.
KoalaVolant